top of page

LE TAMBOUR EN FRANCE A L’ÉPOQUE BAROQUE

Article publié dans La revue de l'Association Française pour la Percussion. N° 32 - Septembre 2012.

Le contexte :
A la charnière des XVIIème & XVIIIème siècles, depuis Versailles, le Roi Louis XIV (1638-1715) illumine l’Europe, l’éclat et la puissance de son sceptre sont perceptibles jusqu’aux profondeurs de l’Orient.
Tout ce qui compte d’esprits fins et brillants converge des quatre coins du royaume, et parfois même du reste du monde, vers la résidence Royale, où la cour devient rapidement l’une des plus brillantes d’Europe.
Le génie, l’intelligence, l’esprit d’invention, se conjuguent au quotidien au sein des Ministères du Roi-Soleil. La cour et la noblesse de France profitent au premier chef de l’usufruit.

L’état d’esprit du roi transcende l’élite de Versailles, société savante parmi laquelle de grands hommes s’ingénient, dans les domaines les plus divers, à asseoir la grandeur de la France, tels Louvois, Vauban, Colbert, Le Brun, Le Nôtre, Racine, Molière, et bien d’autres.
Le raffinement, la vivacité, l’élégance et les fastes sont les maîtres-mots indissociables qui animent le « Siècle des Lumières » ère nouvelle prenant son origine et s’incarnant au Palais de Versailles. Son souffle se répandra sur l’Europe toute entière

Pour ce qui est de l’art musical lors de la seconde moitié du XVIIème siècle, un seul compositeur trône au firmament royal : Jean-Baptiste Lully (1632-1687).
Tour à tour danseur, instrumentiste, compositeur, puis surintendant de la musique du Roi, J.B. Lully, de par son talent avéré, mais aussi animé d’une ambition galopante, obtiendra tous les honneurs, ainsi que le privilège suprême d’être nommé secrétaire particulier du monarque.
Tel Icare, il put approcher l’Astre au plus près.


Le répertoire :
Créateur de l’opéra en France, passé maître dans l’art de la tragédie lyrique, Monsieur de Lully illumina la Chapelle Royale, en composant pour cet écrin des chefs d’œuvres (pour lesquels Louis XIV intervint parfois comme danseur), succès qui firent rapidement sa renommée et contribuèrent à asseoir sa gloire : Le Bourgeois-Gentilhomme, Cadmus & Hermione, Athys, Alceste, etc.

La Maison Militaire du Roy en particulier, et le Ministère de la guerre en général, jouissent, dans les affaires de la France, d’une attention toute particulière  En réorganisant son armée, symbole perceptible de sa grandeur et de sa puissance, Louis XIV s’attacha à en contrôler les moindres détails d’organisation.
Tout naturellement, le roi s’adressa directement à Lully - parfois avec insistance - lui commandant la composition de marches destinées aux divers régiments royaux. Ainsi furent créées les premières marches de la musique (dite militaire) française : Marche Française, Marche du Régiment du Roy, Marche des Dragons du Roy, Marche des Mousquetaires, Marches des Grenadiers à cheval, Marche de Savoie, etc.
Ces marches sont destinées, conformément à l’instrumentarium en vigueur, à un ensemble orchestral composé de hautbois (à quatre parties distinctes) et tambours. Pour la première fois en France, une partie confiée au tambour était clairement notifiée.

Dénuées pour la plupart d’entre-elles d’aspect purement martial, ces marches, nobles et élégantes, sont écrites à deux, voire trois temps, à l’instar du  2ème air « les Folies d’Espagne » de la « Marche du Régiment du Roy », directement inspiré de « La Folia » célèbre thème en ré mineur, propice à variations, qui tel un véritable « tube » se répandit dans toute l’Europe.







 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les protagonistes :
Pour ces marches, Lully ne composa parfois que certains airs, ou l’air principal, confiant à André Danican Philidor (1643-1730), dit l’Aîné, le soin d’assurer la création des parties internes de hautbois et/ou de tambour, voire même la composition et l’instrumentation d’airs nouveaux.

Philidor est en effet l’homme de la situation :
Instrumentiste (quinte de cromorne et trompette marine), issu d’une famille de musiciens au service du Roi, André Philidor est admis en 1659 à la Grande Écurie. De 1667 à 1677, on le retrouve hautbois au sein des Mousquetaires de Louis XIV, période pendant laquelle il participe à toutes les campagnes menées par son souverain (1).
Lully le propose ensuite au poste de basson à l’Académie Royale de Musique, où l’intéressé fait son entrée en 1677.
Le 12 mai 1678, Philidor reçoit le brevet de tambour de la « Chambre et Grande Écurie » . Au sein de cette phalange musicale il sera également flûte et  basse de cromorne.
En 1682, Philidor a l’honneur d’être nommé « Ordinaire de la Maison du Roy » institution pour laquelle Louis XIV accorde la plus grande attention. Le roi ne lésinant pas sur tout ce qui touche aux fastes, pour lesquels la musique est fort sollicitée : déplacements royaux, « Grand Divertissement Royal », fêtes de plein air, carrousels et ballets équestres, défilés, parades, sacres, Te Deum etc.
Musicien complet, artiste de talent, tour à tour instrumentiste, compositeur et copiste, Philidor reçoit en 1684 la charge de « Garde de la Bibliothèque du Roy ». Archiviste rigoureux, Philidor est à l’origine de la constitution du fonds qui porte désormais son nom, importante collection de manuscrits qui sont à l’origine du fonds musical de la Bibliothèque Nationale de France.







 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


L’instrument :
Grâce au travail d’André Philidor, un important répertoire composé d’airs, d’ordonnances et de marches, réalisé en 1705 sous la forme d’un recueil, a pu voir le jour et se transmettre au fil des siècles jusqu’à nous. Quelques rares instruments d’époque ont pu être conservés, ici ou là, nous apportant de précieuses informations. Concernant la facture instrumentale propre au tambour, il nous a été possible d’observer des caisses, assez volumineuses, qui d’après les documents iconographiques, notamment ceux d’Allain Manesson-Mallet, in « l’Art de la Guerre » (2) attestent que le port de l’instrument s’opérait beaucoup plus haut qu’aujourd’hui (la caisse était portée sur le côté de l’abdomen, à la façon des tambourins provençaux), le jeu des baguettes et donc de la technique appropriée découlant de cette position particulière.

 

Conformément à l’esprit animant le « Siècle des Lumières », l’ingéniosité alliée au bons sens se traduisent par la conception et la fabrication d’instruments savamment pensés. Ainsi, pour ce qui touche aux caisses, on notera que les maîtres-facteurs ont doté judicieusement leurs instruments d’une ouïe, petit orifice indispensable se situant à la parfaite moitié verticale du fût, entre les deux peaux. Ce procédé s’appuie sur le principe même des lois acoustiques régissant la propagation du son, propre aux instruments de percussion, principalement à peau tendue.
Le deuxième élément d’innovation se remarque sur la facture des baguettes. Certains modèles d’époque qui ont pu être observés attestent d’un diamètre beaucoup plus conséquent qu’aujourd’hui, et avec une olive plus imposante, ce qui génère un poids global plus lourd. Ces modèles de baguettes, réalisés dans les essences de bois durs (poirier ou ébène) semblent tout à fait adaptés à l’instrument, dont-elles sont la clé.


Contrairement à la facture industrielle moderne où les baguettes sont fabriquées autour à bois, et donc parfaitement identiques l’une et l’autre, le façonnage manuel semble être la technique ayant cours à l’époque qui nous intéresse. Il en découle certaines disparités qui font qu’au sein d’une même paire identifiée, il apparait des différences sensibles, notamment en rapport à la taille de l’olive. Il pourrait sembler que ces différences soient apparentées à de petits défauts. Il n’en n’est rien. Nous avons vu que les maîtres-facteurs ne négligent aucun élément. La facture appropriée aux instruments aussi bien qu’aux accessoires, s’apparente à du grand art, concept et ligne de conduite de « l’art-isan » du XVIIIème Siècle.
Une olive plus imposante, et en règle générale, une baguette dont le diamètre est sensiblement plus important que celui de la seconde, induit un poids plus élevé.
Tout percussionniste a connaissance depuis la nuit des temps, que la frappe droite et gauche ne sont jamais identiques, selon la force musculaire déterminée par la polarité de l’instrumentiste.
L’emploi de la baguette plus lourde associé au membre le plus faible pouvait alors s’avérer une aide précieuse visant à un équilibre des deux mains dans un souci d’harmonisation de la frappe, en rapport avec la position de tenue de baguettes adoptée alors.
Dans le même esprit, la philosophie de la dualité nous enseigne que rien dans la nature n’est jamais rigoureusement identique, tout en accordant que l’un est indissociable de l’autre. On peut également imaginer que la baguette la plus lourde, à la façon d’une batte, pouvait aussi être utilisée seule, à l’occasion, pour marquer les temps.



Écriture et style :
L’analyse des manuscrits de Philidor apporte des précisions relatives au jeu du tambour, à savoir :

- un soliste peut se détacher du pupitre, par l’interprétation d’une ligne rythmique différente que celle confiée au tutti ;
- les roulements ne sont pas notés. L’on peut en déduire : soit que cet effet n’est pas répandu ; soit qu’il se réalise sur les valeurs longues, sans notation spécifique particulière ; soit qu’il s’applique, à l’instar de l’ornementation propre à l’ensemble des instruments à vent ou à cordes, à bon escient selon le goût de l’instrumentiste, lorsque que la mélodie le nécessite ;
- Il semble que l’emploi de cellules rythmiques spécifiques associées à telle ou telle marche, soit un moyen favorisant la perception de l’information, procédé déclencheur simplifiant la reconnaissance auditive. N’oublions pas que ces marches sont destinées aux différents corps de troupe de l’infanterie. La batterie de tambour précédant la Marche, est aussi un indicateur mnémotechnique facilitant l’identification du corps concerné (Mousquetaires, Dragons, etc.) ;
- il n’est jamais fait mention d’un jeu instrumental « sans timbre ». La facture instrumentale de l’époque ne permettant sans doute pas cette possibilité. (3)


Interprétation :
Créé en majeure partie par Lully, le répertoire des Marches de Louis XIV, doit être considéré à ce titre comme une musique originale au même titre que l’ensemble de la production du compositeur. Il ne s’agit pas de « sous-musique ». Ce répertoire comporte toutes les caractéristiques du style de l’époque, alliant la distinction pour l’écriture à l’élégance pour ce qui est de l’ornementation.
Concernant l’interprétation de ce répertoire, les règles qui nous sont désormais connues depuis le début des années 1980 environ, favorisent une approche sous l’aspect historique.
Nous avons tous en mémoire - tout du moins pour ceux qui l’on vécu - le souvenir de l’interprétation  du célèbre Te Deum de Marc-Antoine Charpentier, dont le prologue a servi d’indicatif des chaînes télévisées de l’O.R.T.F., ce pendant plusieurs décennies.
Lors de l’enregistrement de cette composition dans les années 1960, les règles d’interprétation de la musique baroque étant méconnues, l’on jouait la partition comme elle était écrite, c’est-à-dire de façon binaire et avec une ornementation sommaire.
De nos jours, l’interprétation de cette composition est totalement différente. En effet, le travail des musicologues et des interprètes a permis de dégager, à l’aide des très rares traités d’époque traitant du sujet, les anciens principes visant à l’interprétation du jeu inégal ainsi que ceux de l’art de l’ornementation. La musique en est transformée, car vivante. L’interprétation d’une figure rythmique égale (notée 4 croches par exemples) se traduit par un rythme animé et souple qui se rapproche d’une succession de croche pointée double croche. Cet élan rythmique confère, entre autres, un caractère à la fois noble et élégant (en rapport à l’ouverture à la française) et  alimente ainsi la musique baroque d’une énergie inattendue et communicative.

Ce principe d’interprétation s’applique aux Marches de Lully, comme à l’ensemble de toute sa production instrumentale et théâtrale, puisque ainsi était l’usage adopté pour l’exécution de la musique courante. Cette lecture, qui aujourd’hui peut paraître évidente pour certains, confère à ces pages musicales leurs véritables sentiments.
Imaginons un instant le jeu d’un Philidor, tenant la partie de tambour. Rodé à l’ornementation que ce soit sur le hautbois ou au basson, son jeu sur la caisse, devait être, sans nul doute, aussi subtil que l’on puisse l’imaginer, à la façon d’un artiste musicien, à part entière. Le tambour étant alors considéré comme un véritable instrument de musique et non un simple instrument d’accompagnement. A mon sens, l’art de battre la caisse au XVIIème puis au XVIIIème siècles, en rapport au touché plus qu’à la technique proprement dite, peut être considéré à son apogée, ce niveau artistique n’ayant pas forcément perduré lors des siècles suivants (4).

C’est dans l’esprit de restitution d’un style, que nous avons, Robert Goute et moi-même, orienté nos travaux, afin de proposer une lecture de ce répertoire dans une approche de vulgarisation du jeu inégal et de l’ornementation, se voulant abordable par le plus grand nombre.
© Jean-Louis COUTURIER [Oct. 2011]




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


→ Avec mes remerciements et une mention toute spéciale à Marie-Ange Petit, percussionniste distinguée et spécialiste passionnée des instruments anciens, pour ses précieuses informations sur le sujet.

NOTES :
(1) Aussi, lors de la campagne de 1692, les archives royales mentionnent « Il est ordonné à Denis Laubier, André Danican, dit Philidor, Nicolas Perrin et Jean Dabadie dit de Lisle, tambours ordinaires de la Chambre de se tenir prêts pour partir et faire la campagne prochaine à la suite de Sa Majesté ».
Les Mousquetaires du Roi s’articulaient en deux compagnies composées de gentilshommes issus des meilleures familles du royaume. La première compagnie des Mousquetaires se dénommait « Mousquetaires gris », la seconde  « Mousquetaires noirs ».
Lors du siège de Namur, André Philidor fut à l’initiative d’un grand rassemblement de toutes les bandes de hautbois des divers régiments royaux présents. Ce spectacle, offert au Roi à titre de divertissement, peut être considéré comme le premier « festival » de l’histoire de la musique militaire française.

(2) cf gravure. Allain Manesson-Mallet (1630-1706) :  « Les Travaux de Mars, ou l’Art de la Guerre » La Haye. 1672.

(3) En effet, les tambours observés sont dotés d’ un  simple timbre en boyau, sans déclencheur.
En revanche, près d’un demi-siècle plus tard, lorsque le tambour fera sa véritable entrée à l’orchestre, il le fera, de façon singulière, de manière voilée. En effet, le compositeur Jean-Philippe Rameau (1683-1764) sera le premier en France à utiliser la percussion, par l’emploi d’un « tambour voilé » lors du prologue de son ballet héroïque « Zaïs » (1748), dont l’ouverture dépeint le bouillonnement du chaos et le choc des quatre éléments (la terre, l’eau, l’air et le feu) lorsqu’ils se sont séparés. Le son du tambour voilé qui intervient en solo dès le début du prologue, apporte un aspect lugubre et inquiétant, propre à dépeindre ou  suggérer le chaos originel.

(4) En effet, il n’est pas d’emploi similaire au XIX° siècle dans le jeu des percussions. Aussi, l’on ne peut s’empêcher de comparer la période baroque et le XXème siècle, principalement au travers de la musique de jazz, en ce qui concerne la subtilité du « touché » indissociable de l’art de l’accompagnement.






 

Jean-Baptiste Lully (1632-1687)

Le tambour à l'époque baroque

Tambour sous Louis XIV.

Illustration d'Allain Manesson-Mallet

Jean-Louis Couturier & Robert Goute
bottom of page