Aperçu historique de la pratique du cor naturel en France, et de son emploi dans les ensembles à vent.
Conférence donnée à Bern (CH) dans le cadre de l'International Romantic Brass Symposium (2012)
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Introduction
Pour la plupart de nos concitoyens, le cor est certainement l’un des instruments de musique le plus ancré dans la mémoire collective, aujourd’hui comme hier. Quelles sont les raisons d’une telle notoriété ?
L’instrument, présent dans une grande partie de l’histoire de France, a investi la mémoire de la Nation.
Dès le Moyen-Âge, le cor est l’un des rares instruments représentés sur les vitraux de plusieurs cathédrales. Depuis ces temps reculés, on retrouve également l’image de cet instrument sur les armoiries et blasons de nombreuses villes de France, ainsi que dans l’héraldique des anciennes familles, comme celle des Princes d’Orange. Pour les enfants, la légende du Chevalier Roland et de son olifant est aussi célèbre que celle de son oncle, l’Empereur Charlemagne, qui dit-on inventa l’école. Le rituel de la chasse, si important depuis l’époque féodale chez les seigneurs puis les rois, ne peut être dissocié de l’instrument. Ainsi, il n’est pas surprenant que le cor soit au cœur d’expressions usuelles, qui trouvent leur origine dans de fort anciennes coutumes : « à cor et à cri » en est un bel exemple.
Dans l’esprit de la plupart de nos semblables, le cor est d’ailleurs synonyme de la chasse.
Fort d’une renommée internationale, le poète Charles Trenet chantait en 1993, au sommet de sa gloire : « J’aime le son du cor, le soir au fond des bois » d’après le célèbre poème d’Alfred de Vigny (1797-1863) « Le cor », soulignant ainsi la notoriété de cet instrument évocateur, auprès du grand public.
Sous le règne de Louis XV, le cor s’intègre aux formations musicales militaires, trouvant de ce fait un nouvel usage. Parallèlement, dès la révolution de 1789, son emploi de plus en plus fréquent au sein des orchestres à vent lui ouvre d’autres perspectives. Les inventions et perfectionnements liés à la facture instrumentale en plein essor au XIXe siècle, transformeront le cor naturel en cor chromatique.
Quand bien même, par-delà du modernisme, le recours à l’instrument naturel a toujours fasciné nombre d’instrumentistes. (En France, son enseignement officiel au Conservatoire perdurera encore quelques années après 1903, date de création de la classe de cor à pistons !) C’est-ce type même d’instrument qui a cours aujourd’hui, dans un genre nouveau, apparu en France au début des années soixante du XXe siècle : l’orchestre de cuivres naturels. Tout d’abord apanage des musiques militaires professionnelles, ce genre s’est rapidement propagé partout en France au sein des sociétés musicales populaires, ouvrant ainsi une nouvelle voie, totalement inattendue, et généralisant sa pratique à un style opposé au répertoire de la vénerie.
Qu’il se présente aujourd’hui sous la forme de la trompe en ré en usage au sein des « débuchés/rallyes-trompes » ou sous l’aspect du cor de chasse en mi bémol des ensembles de cuivres naturels, le cor naturel trouve sa place et prouve ainsi sa popularité, pérennisée au sein d’ensembles musicaux issus d’une forte tradition musicale, particulière à la France.
Aux origines de l’instrument
’est un truisme de considérer le cor parmi les instruments de musique les plus anciens qui soient, puisque sa présence est révélée depuis
la haute antiquité, notamment chez les Étrusques, les Grecs et les Romains. Il est vrai cependant que son origine peut se confondre avec celle de la trompette par la similitude du principe sonore : un simple tube, droit ou recourbé. Qui peut prétendre aujourd’hui que « l’ancêtre commun », c’est-à-dire la conque, coquillage marin répandu principalement dans l’hémisphère sud, soit par son principe à l’origine particulière du cor, plus que de la trompette… ou vice versa ? Bien que le cor ne soit pas assujetti de manière générale à la notion de divinité souvent attribuée à la trompette, référence dont il est fait mention dans les textes sacrés, son origine lointaine lui confère une antériorité historique incontestable au sein de la famille actuelle des cuivres.
Dans de nombreux pays du monde, depuis des âges reculés, des cornes animales (de bélier ou de taureau, notamment) évidées par l’homme, ont été façonnées en un instrument offrant une certaine palette sonore. Affirmer que le mot cor est une contraction de corne (cornu en latin) est un raccourci étymologique tentant, qui n’est certes pas à exclure, surtout si l’on considère que dans les langues germaniques anciennes « horn » signifie également corne.
En orient, de Bagdad à Byzance, il est fait mention de cors d’ivoire, issus du principe identique appliqué à une défense d’éléphant. Ainsi, au Moyen-Âge apparait le mot « oliphant », corruption d’éléphant (en grec le mot éléphas signifie à la fois éléphant et ivoire – en allemand : elfenbein = ivoire). Ces instruments précieux et rares, souvent richement décorés, étaient l’apanage des monarques, seigneurs ou riches chevaliers. Petit à petit, l’olifant devint un véritable insigne de chevalerie, aussi incontournable que la lance ou l’épée.
Les plus anciens d’entre nous, qui se souviennent des cours d’histoire de France dispensés naguère dès l’école primaire, auront encore certainement à l’esprit la fameuse légende de Roland de Roncevaux. Effectivement, l’une des plus célèbres chansons de geste, « La Chanson de Roland », narre avec moult détails, la fin tragique du neveu et vassal de l’Empereur Charlemagne. Le 15 août 778, revenant d’Espagne en traversant les Pyrénées par le col de Roncevaux, Roland et l’arrière-garde que lui avait confié Charlemagne tombèrent dans une embuscade tendue par les Maures. Malgré de farouches combats, presque toute l’arrière-garde fut décimée. Roland tenta de prévenir son oncle pour obtenir un renfort, mais il mourut d’avoir sonné si fort l’olifant, qu’il explosa la veine jugulaire. Bien que déjà parvenu en Gascogne, l’Empereur Charlemagne, entendit le puissant appel de son neveu et se porta aussitôt à son secours. Il arriva malheureusement trop tard : Roland avait succombé à sa blessure, après avoir assommé un dernier Sarrasin d’un coup d’olifant. Ainsi, l’olifant entra dans la légende de Roland, et lui est à jamais associé.
Un instrument indissociable de la chasse
Dès le haut Moyen-Âge, l’instrument trouve une double vocation : cor de guerre utilisé par les chevaliers, il est également, compte tenu de ses faibles proportions, l’instrument privilégié des nobles seigneurs jouissant du droit de chasse.
Au sein de la société féodale, le droit de chasser est considéré comme un haut privilège essentiellement réservé à la noblesse. Cette distinction se perpétua durant de nombreux siècles. Elle restera dans les esprits une idée particulièrement ancrée, qui perdurera jusqu’au début du XXe siècle.
Depuis cette période, antérieure à la Renaissance, le cor est étroitement lié à la chasse. Dès lors, cette association se mua en une véritable tradition à la fois musicale et sociale, encore bien vivace en ce début de XXIe siècle, notamment dans l’esprit du grand public.
Si l’on se réfère aux nombreuses références historiques issues de périodes différentes, on constate rapidement que la chasse a été l’occupation favorite de la plupart des Rois de France.
Le Comte de Foix Gaston III, dit Phébus (1331-1391), fin lettré, soutient dans son ouvrage de vulgarisation : le « Livre de chasse » (composé entre 1387 et 1389), que la chasse peut être considérée comme un acte rédempteur, conduisant sur la voie du paradis céleste. Outre ces considérations d’ordre philosophique, Gaston Phébus rédige un véritable traité de vénerie, ouvrage unique à son époque. Agrémenté de nombreuses illustrations, le livre nous offre une iconographie de premier plan, où l’utilisation du cor est très largement représentée.
Il en est de même de la riche collection du Duc de Berry (1340-1416), qui comprend quelques-uns des plus beaux manuscrits du siècle, rassemblés par le fastueux prince, dont les « Très riches heures du Duc de Berry », miniatures d’une rare précision graphique, commandées aux frères de Limbourg :
Autre ouvrage d’importance si l’en est , le « Trésor de Vénerie », composé en 1394 par Hardouin de Fontaines Guérin. L’auteur y décrit, sous forme de poèmes, les différentes manières et occasions de « corner ». Il précise à cet effet les différentes « cornures », (sonneries) :
- cornure de chemin ;
- cornure d’assemblée ;
- cornure de quête ;
- cornure de chasse ;
- cornure de chasse à vue ;
- cornure de mercroy ;
- cornure de requête ;
- cornure de l’eau ;
- cornure de relais ;
- cornure d’aide ;
- cornure de prise ;
- cornure de retraite ;
- cornure d’appels des chiens ;
- cornure d’appel des gens.
On notera l’envergure de ce codex musical, véritable langage sonore adapté à la chasse et à laquelle il se rattache directement. Précisons également que compte tenu des faibles ressources de l’instrument de l’époque, corne animale ou petit cor de bois ou de métal, les « cornures » sont vraisemblablement composées d’un seul son. La texture musicale des appels n’étant basée que sur les différents rythmes alliant à loisir les valeurs longues et brèves.
Au Moyen-Age, il était de coutume, chez les princes et les grands seigneurs, d’annoncer le moment du repas au son du cor, sans doute parce que cet instrument, étant employé pour la chasse et pour la guerre, était réputé le plus noble de tous.
Thoinot Arbeau écrit dans « L’Orchésographie » (1589) : « Le cor est un de ces instruments servant à la marche guerrière. Il sonne lorsque l’on punit de mort les soldats ».
Le Père Marin Mersenne, dans « L’Harmonie Universelle » (1636), décrit un cor enroulé en sept spirales. Mersenne insiste sur le fait qu’un bon chasseur peut tirer de son cor autant de notes que sur une trompette, soit seize harmoniques.
À la chasse, on ne parle plus de cor, mais de trompe. Louis XV, arrière petit-fils du Roi-Soleil, a hérité de son aïeul la passion de la chasse qui deviendra son occupation favorite et incontournable. Sous Louis XV, la partie de chasse s’amplifie. Le rituel de la chasse, en particulier de la chasse à courre, trouve son apogée sous Louis XV, notamment avec le Marquis Marc-Antoine de Dampierre (1676-1756), qui contribua à la grandeur de cette royale passion. Veneur, puis lieutenant de chasse du Duc du Maine, entré au service du roi en 1727, Dampierre fut un brillant sonneur de trompe. Il adopta un instrument enroulé sur un seul tour, donc beaucoup plus volumineux, que l’on dénomme encore aujourd’hui « trompe Dampierre ». Le Marquis de Dampierre composa plusieurs recueils de « Fanfares de chasse » et poursuivit le travail de codification du gibier. À chaque animal sauvage, correspond une fanfare particulière. Le recueil de Dampierre, qui instaure la tradition musicale de la vénerie, s’articule donc comme un véritable bestiaire.
Aussi, la trompe (construite dans la tonalité éclatante de ré) devient indissociable de la pratique de la chasse montée.
L’instrument, somme toute beaucoup trop volumineux, diminua de circonférence et, sous le règne de Louis XVI, trouva sa forme actuelle.
Atouts militaires
Si l’emploi du cor à l’orchestre est plus facilement identifiable au travers des orchestrations propres au répertoire du XVIIIe siècle, en revanche, son usage dans le répertoire lié à la Maison du roi ou aux fastes de Versailles semble beaucoup moins affirmé, voire inexistant. Le recueil (1705) d’André Philidor, ordinaire de la Bibliothèque de Louis XIV, n’en fait aucune mention. Lorsque Jean-Baptiste Lully, surintendant chargé de la musique auprès du monarque, utilise les cuivres par la voix des trompettes, il complète l’orchestration de ses compositions destinées à être jouées en plein air, par des vents, dont hautbois et bassons. Le cor semble quelque peu oublié. Le fait que Philidor annote dans son recueil manuscrit bon nombre d’airs et sonneries de chasse laisse, supposer que l’instrument trouve plus naturellement sa place, à la chasse qu’au combat.
Si l’on se conforme à l’iconographie, il semblerait qu’à partir du règne de Louis XV, le cor soit employé aux armées. Dès la campagne de 1741, son usage se répand dans l’infanterie française, visiblement par le biais de sa généralisation dans les armées de Hanovre. Le cor intègre la musique militaire, tout comme la clarinette, qui supplante désormais le hautbois. Auparavant, (sous le règne de Louis XIV), les musiques des régiments royaux ne requéraient qu’un nombre limité d’instruments : fifres et tambours pour l’infanterie ; trompettes et timbales pour la cavalerie ; famille des hautbois et bassons pour la marche des divers régiments.
L’entrée à l’orchestre
Les multiples caractéristiques sonores des différents instruments de musique, confèrent à chaque membre de la famille orchestrale l’expression d’un sentiment bien particulier. Le timbre et la puissance de la trompette déterminent ainsi un sentiment général plutôt martial et guerrier. Le cor, quant à lui, évoque davantage un caractère pastoral, à la fois noble et serein, dans une résonance feutrée, parfois lointaine.
La forte implication de l’instrument dans le domaine de la chasse, lui confère à l’orchestre, un rôle souvent indissociable de ce thème, dès la période baroque. Les exemples musicaux faisant étroitement référence à la chasse en y associant l’emploi incontournable du cor sont nombreux : J. S. Bach (1685-1750) : Cantate n° 208 « Jagdkantate – La Chasse » (1713) : 2 cors en fa, pour ne citer qu’un exemple significatif. En France, Jean-Philippe Rameau, parfait contemporain de J.S. Bach, procède par l’usage d’un figuralisme similaire : de même que l’emploi des trompettes illustrait tout naturellement le vers : « La gloire nous appelle, écoutez ces trompettes », Rameau débute son dernier ouvrage lyrique « Les Boréades » (1764), par ce vers : « Suivez la chasse… », après avoir fait entendre en prologue une ouverture dans laquelle deux cors (en fa) lancent des appels évocateurs.
Cette prédominance de la chasse transparait à l’identique dans de nombreux pays, où la dénomination de l’instrument la plus fréquemment usitée est : « corno da caccia ».
L’association d’idée : chasse = cor se poursuivra au fil des siècles.
Des exemples similaires illustrent les périodes postérieures : classicisme et romantisme.
Musique militaire et musique de plein air
Si l’usage militaire du cor au sein des formations musicales des Gardes françaises de Louis XV, puis de Louis XVI, est bien réel, il demeure en retrait, bien que l’instrument soit l’unique représentant de la famille des cuivres (les trompettes étant cantonnées à l’exécution des seules sonneries).
Malheureusement, les exemples musicaux du répertoire militaire de cette période couvrant un siècle et demi, sont quasi inexistants. En revanche, par un détour intéressant à l’opéra, Jean-Paul Égide Martini (1741-1816) nous livre un exemple concret. Dans son opéra historique intitulé « Henri IV », et datant de 1774, l’auteur (de son vrai nom J. P. E. Schwarzendorff) fait se mouvoir derrière le rideau une musique militaire.
Au cours de l’entracte intitulé « La Bataille », entre les 2e et 3e actes, le compositeur du célèbre « Plaisir d’Amour », fait exécuter la série complète des sonneries d’ordonnances en usage dans les armées de Louis XV.
L’orchestration de Martini comporte l’essentiel des instruments dévolus à la musique militaire à cette époque : fifres, clarinettes, hautbois, 2 cors de chasse (en ré), et tambours.
Il faudra attendre la période post-révolutionnaire, pour voir la présence du cor s’affirmer, puis se généraliser.
Sur proposition du citoyen Chénier, le 18 brumaire an III (8 novembre 1794), la Convention nationale adopta le principe d’organisation de l’Institut national. Quelques mois plus tard, le projet fut entériné sous le nom de Conservatoire. Composé de cent quinze artistes, le Conservatoire était chargé d’instruire les élèves et de fournir les instrumentistes destinés à la célébration des fêtes patriotiques et autres grands événements.
32 musiciens, répartis en deux sections, étaient affectés au service journalier dispensé par la Garde nationale auprès du Corps législatif.
Ces deux petites formations de musique de plein air, composées essentiellement d’instruments à vent (bois & cuivre) et d’instruments de percussion, comportaient deux cors (pour une trompette).
Les jours de commémoration nationale, ou lors de la création d’hymnes patriotiques, les grands concerts exigeaient la totalité des instrumentistes. Dans cette configuration, la présence de 12 cors était requise, répartis entre 6 premiers cors & 6 seconds cors (pour 4 trompettes).
Entre 1791 et 1797, le Conservatoire forma plus de quatre cents élèves pour le service des armées de la République. À l’avènement de Bonaparte, vingt-cinq élèves du Conservatoire furent employés à la formation de la musique de la Garde des Consuls.
Les exemples musicaux dûs aux citoyens-compositeurs qui s’illustrèrent lors de cette période post-révolutionnaire par la création de nombreux hymnes, interprétés lors des fêtes civiques et patriotiques, sont nombreux. Ils font intervenir généralement une partie vocale, ou un chœur accompagnés par les instruments à vent.
L’orchestration du répertoire « révolutionnaire » pour instruments à vent tend à séparer le plus souvent les cuivres qui sont rarement employés en groupe complet, les trombones étant peu utilisés dans un premier temps. Au sein de l’édifice orchestral, le serpent, comme le basson, tient le rôle de véritable basse dans le registre grave.
Les orchestrations les plus fréquentes associant les cuivres sont les suivantes :
1°) bois et cors ;
2°) bois, cors, trompettes ;
3°) bois, cors, trompettes, trombones.
Parmi cet imposant répertoire original citons, quelques exemples significatifs :
Cantates :
- François Joseph Gossec (1734-1829) : « L’offrande à la Liberté » (1792) (2 trompettes et 2 cors en ut) ;
- Étienne Nicolas Méhul (1763-1817) : « Le Chant du Départ » (1794) (2 trompettes et 2 cors en ut) ;
- Giovanni Giuseppe Cambini (1746-1825) utilise 2 cors en fa dans son « Hymne à l’Être Suprême » (1794) ;
- Charles-Simon Catel (1773-1830) : « La Bataille de Fleurus » (1794) : 2 cors en fa – 3 trombones ; « Ode sur le Vaisseau ‹ Le Vengeur › » (1795) : 2 cors en fa ;
- Luigi Cherubini (1760-1842) : « Hymne du Panthéon » (1794) : . L’orchestration de cette œuvre conséquente pour chœur d’hommes et orchestre d’harmonie regroupe la famille des cuivres dans son intégralité : 2 trompettes, 2 cors en fa, 3 trombones.
Musique orchestrale :
- Etienne Nicolas Méhul : « Ouverture » (1793) (trompettes, cors et trombones) ;
- Louis-Emmanuel Jadin (1768-1853) : « Ouverture en ut mineur » (1794) (2 cors en ut) ;
Musique militaire :
- Michel-Joseph Gebauer (1763-1812) : « Pas de Manœuvre » (1794) : 2 fifres, 2 clarinettes, trompette en fa, 2 cors en fa, bassons/serpents.
Rappelons que tout ce répertoire est dédié au cor naturel (sans pistons). Ainsi, à l’instar des trompettes, les parties instrumentales de cor ne comportent que la série des harmoniques naturelles. Afin d’élargir la palette harmonique, certains compositeurs auront recours à l’utilisation associée de cors en différents tons. C’est le cas de Luigi Cherubini qui associe cors en mi bémol et cors en ut dans son « Hymne Funèbre sur la mort du général Hoche » (1797).
Il est à noter que l’utilisation globale du groupe des cuivres semble revenir à F.G. Gossec, dont l’orchestration de la « Marche lugubre » (1790) comprend : 2 trompettes en fa, 2 cors en fa, 3 trombones, une partie de serpent, ainsi qu’une partie de « tuba corva » nécessitant l’emploi alternatif de 3 de ces instruments, accordés en ut, si bémol et la.
C’est avec ce répertoire, interprété en plein air, devant des foules immenses, que prend corps la grande tradition musicale française de l’orchestre d’instruments à vent (ou orchestre d’harmonie), qui connaîtra son apogée au XIX siècle avec le chef d’œuvre d’Hector Berlioz, la « Grande Symphonie Funèbre et Triomphale » (1840). Cette composition monumentale ne comporte pas moins de 12 cors, divisés en trois quatuors : cors en fa/cors en mi bémols/cors en ut).
Cette tradition des spectacles à grandes fresques musicales interprétées en plein air, dont l’origine remonte aux parades et spectacles appréciés par Louis XIV, où la splendeur des cuivres fait merveille (cf. J-B Lully : « Carrousel de Monseigneur » en 1686), obtiendra jusqu’à l’aube du XXe siècle des succès retentissants, souvent populaires (cf. « Prométhée », de Gabriel Fauré, pour deux orchestres d’harmonie, dont la création eu lieu en août 1900, aux arènes de Béziers).
Marches militaires sous l’Empire
Dès 1802, et son avènement au Consulat, Bonaparte, supprime toutes les musiques de cavalerie. Le premier Consul préfère former quatre régiments (environ 3000 hommes) en s’appuyant sur les chevaux affectés pour le service des musiciens.
Sous l’Empire, Napoléon rétablit les fanfares de cavalerie, formations généralement composées de : 16 trompettes, 6 cors, 3 trombones.
Les musiques d’infanterie, telle la prestigieuse musique de la garde consulaire, puis impériale, comportaient quant à elles un plus grand nombre d’instrumentistes (une quarantaine d’exécutants) dont quatre cors.
La plupart des marches et pas accélérés composés sous l’Empire pour les troupes à pied, comportent généralement neuf parties, à savoir : 1 flûte, 2 clarinettes, 2 hautbois, 2 cors et 2 bassons.
Un personnage clé : Joseph David Buhl (1781-1860)
Issu d’une famille de musiciens, David Buhl, montre très jeune de belles dispositions pour la musique, si bien qu’il est admis, dès l’âge de onze ans, comme trompette dans la compagnie de musique de la Garde parisienne.
David Buhl s’émancipe sous le Consulat, période qui voit l’avènement de Bonaparte. Il sert vraisemblablement, dès 1799, dans la prestigieuse Musique des grenadiers à pied de la Garde des Consuls. Tenu pour le plus brillant trompettiste de France, David Buhl est ensuite appelé comme instructeur au sein de l’École des trompettes pour la cavalerie, institution créée à Versailles au début de l’année 1803. Il y enseignera jusqu’à la fermeture de celle-ci, en 1811. Le 1er juillet 1814, Buhl est nommé chef de musique de l’état-major des gardes-du-corps du Roi Louis XVIII. La même année, il est fait chevalier de la Légion d’honneur, par décret du 21 septembre 1814 (un an après son frère aîné Jean-Louis Buhl, lui-même trompettiste).
Le 29 mai 1825, à Reims, lors du Couronnement du Roi Charles X, David Buhl est heurté par une voiture du cortège royal, alors qu’il dirige sa « Fanfare du Sacre de Charles X », composée spécialement afin de solenniser l’événement. Les suites de ce fâcheux accident mirent un terme à sa carrière militaire.
On doit à David Buhl la composition des sonneries de trompette en usage au sein de la cavalerie française, constituées en une ordonnance adoptée par le ministre de la guerre en l’an XIII (1804), ainsi qu’une « Méthode de Trompette », parue en 1824 (Brandus – Paris) destinée à l’enseignement des trompettes de la cavalerie.
On doit également à cet artiste une suite de « Six Fanfares » instrumentées pour quatre trompettes en mi bémol, deux cors en mi bémol et un trombone. D. Buhl précise que ces fanfares ont été sonnées en 1804 dans la Garde consulaire et que cette musique était exécutée par un ensemble de sept à vingt-cinq instrumentistes. Il semble que Buhl ait ainsi composé le premier véritable exemple de fanfare essentiellement pour cuivres de l’École française. Il a judicieusement utilisé le trombone, seul instrument chromatique de cette orchestration dévolue aux instruments naturels, permettant par son soutien harmonique le recours à la modulation.
Le cornet de voltigeur ou cornet de poste
Lors des campagnes de Napoléon 1er en Autriche et en Bavière, au début des années 1800, les troupes françaises découvrent l’usage – civil et militaire – du cornet de poste ou cor de postillon.
L’infanterie française est séduite par cet instrument maniable, peu encombrant, inconnu en France. Tant la perce conique de l’instrument que son appellation propre : cornet = petit cor, donnent à penser qu’il s’agit bien là d’un véritable cor en modèle réduit.
L’arrêté du 22 ventôse an XII (13 mars 1804) créait au sein des régiments d’infanterie légère les compagnies de voltigeurs. Ce texte réglementaire précisait en outre que dans ces compagnies de voltigeurs, le cornet prendrait lieu et place du tambour parmi les instruments militaires. Le cornet de voltigeur est introduit aux armées durant l’année 1805. Il semblerait que les premiers instruments usités aient été de facture allemande. Sous la férule de D. Buhl, un répertoire de sonneries réglementaires voit le jour à destination des voltigeurs. Le cornet est adopté dans la tonalité d’ut.
Lors des années 1812-1813, David Buhl est nommé instructeur en chef à l’École des cornets des pupilles de la Garde Impériale. Peu avant la chute de l’Empire, Buhl compose une suite de « Deux marches et quatre pas redoublés » (1812) pour quatre cornets. Ce répertoire constitue le seul exemple répertorié de musique dédiée à un ensemble de cornets de voltigeur.
D’après les écrits du Général Molitor (1821), il est rapporté que le cornet de poste, d’exécution difficile et de sonorité criarde, ne correspondait pas vraiment à un usage militaire, notamment lors des combats. Cette idée se généralise rapidement, et dès la réorganisation de l’infanterie en 1815, le tambour supplante à son tour le cornet de voltigeur, définitivement abandonné en 1822.
Une composition singulière, de David Buhl témoigne également de l’emploi des instruments de musique au sein de l’orchestration pour musique militaire en usage. En effet, composés sous la Restauration, les « Quatre Pas redoublés pour Fanfare et Musique » préfigureront la composition de la formation musicale de type musique militaire actuelle.
- Par fanfare, il faut entendre les instruments naturels en usage aux armées en général, et dans la cavalerie en particulier : la trompette de cavalerie, le tambour, le cor de chasse en mi bémol. D. Buhl ajoute à ce groupe de « fanfare » un trombone, qui sert de basse à l’édifice orchestral. On retrouvera plus tard cet ensemble sous l’appellation de batterie, à partir de l’adjonction du clairon (à noter que ce dispositif regroupé par David Buhl préfigurera l’orchestre de cuivres naturels (batterie-fanfare).
- musique (ou harmonie) : regroupe les instruments usités dans l’infanterie : fifres, clarinettes, bassons pour les vents ; trompettes en mi bémol, cors en mi bémol, trombones et serpents pour la composition du groupe des cuivres. (La partition de cor « musique » ne comportant ni chromatisme, ni sons bouchés, il semblerait que l’instrument soit le même que celui utilisé pour la « fanfare », soit un simple cor de chasse).
Réorganisation des musiques militaires
À la fin des années 1830, partout en Europe, les nouveaux instruments en cuivre à système ont partiellement remplacé les instruments en bois. Les premières méthodes pour cuivres chromatiques apparaissent en complément de la mise au point d’instruments d’un type nouveau. Ainsi, en 1840, Joseph-Emile Meifred (1791-1867) rédige la première méthode pour cor à deux pistons. En France, après de nombreuses polémiques opposant partisans et détracteurs, une réforme se traduit en 1845 par la réorganisation complète des musiques régimentaires, du fait de l’adoption par l’armée des instruments inventés et mis au point par Adolphe Sax (1814-1894) (saxophones, saxhorns, saxotrombas) ou perfectionnés et munis de ses systèmes : trombones et trompettes à cylindres, clarinette basse.
L’adoption des instruments élaborés par A. Sax pallie avantageusement la déficience des instruments du registre grave de l’orchestre à vent, représentés jusqu’alors par le basson, le serpent et l’ophicléide.
La décision ministérielle du 19 août 1845 entérine les dispositions suivantes :
- musique de type infanterie : composition = 1 chef, 49 instrumentistes (dont 4 cors à 3 cylindres) ;
- musique de type cavalerie : 36 instrumentistes (4 saxhorns barytons font office de cors).
On doit à deux compositeurs prolixes, Alexandre Fessy (1804-1856) et Jean (Baptiste) Mohr (1823-1891), fidèles partisans du « système Sax », la création d’un répertoire abondant, destiné en premier lieu aux formations musicales militaires nouvellement modifiées (pour l’infanterie : adjonction des saxophones et saxhorns aux bois existants ; pour la cavalerie : emploi exclusif des instruments mis au point par A. Sax).
Au milieu du XIXe siècle, le cor chromatique tend à supplanter de manière générale la pratique du cor naturel. Cependant, plusieurs compositeurs useront simultanément d’un pupitre de cors divisés en cors chromatiques et cors simples (appelés parfois « cors d’harmonie » ; à la même époque le terme « cor d’harmonie » désigne parfois également le cor à pistons, d’où certaines confusions).
En 1854, fort de son influence auprès de l’Empereur Napoléon III, Sax bénéficie d’une nouvelle disposition gouvernementale qui impose derechef les instruments de sa fabrication dans les musiques militaires de l’infanterie et de la cavalerie de la Garde Impériale. L’emploi du cor y est abandonné au profit du groupe complet des saxhorns – exemple musical significatif : « Marche Militaire pour musique de cavalerie » (1856) de François Bazin (1816-1878). Ce talentueux Prix de Rome (1840) n’utilise pour cette composition que les seuls cuivres : le groupe complet des saxhorns, auxquels il adjoint les cuivres clairs existants : cornets en si bémol ; trompette chromatique en mi bémol et trombones. En outre, l’auteur distingue un alto en mi bémol du pupitre des saxhorns altos en mi bémol utilisés. Cet alto tient ici le rôle du cor à proprement parler. Le cor alto en mi bémol a trouvé un usage dans les fanfares de cuivres où il s’est maintenu jusqu’au milieu du XXe siècle avant de tomber en désuétude pour disparaître complètement.
Un décret impérial du 26 mars 1860, réduit l’effectif des musiques militaires par mesure d’économie budgétaire. La nouvelle composition orchestrale est la suivante :
- 40 instrumentistes pour les troupes à pied ;
- 27 instrumentistes pour les troupes à cheval.
Les saxhorns supplantent toujours l’emploi du cor.
Un nouveau décret impérial daté d’avril 1868 marquera la suppression des musiques de la cavalerie.
Parallèlement aux musiques militaires, les sociétés musicales civiles adoptèrent presque unanimement au sein des fanfares, particulièrement nombreuses dès la fin du XIXe siècle, l’instrumentation défendue par A. Sax. La qualité et le prix d’achat des instruments construits par les ateliers de Sax étaient indiscutables.
En ce qui concerne l’utilisation du cor proprement dit, dans la seconde moitié du XIXe siècle, on constate que la réforme de Sax aura plutôt été néfaste à l’emploi de l’instrument. Aussi bien au sein des musiques militaires que des sociétés civiles, l’utilisation du cor naturel muni de tons de rechange fut presque inexistante, du fait d’un coût d’achat trop élevé et d’un jeu requérant un équipement quelque peu conséquent. Les cornistes auront à peine le temps de se familiariser avec le cor chromatique à 2 puis 3 pistons, : les avancées (techniques et commerciales) de Sax, auront pour conséquence de supplanter le cor au profit, du saxhorn, ainsi que du « cor alto », instrument « hybride », pour reprendre le terme du musicologue français Frédéric Robert, spécialiste de l’instrumentarium du XIXe siècle.
C’est au début du XXe siècle que la composition instrumentale des musiques militaires se stabilisera avec l’adoption d’une orchestration regroupant la totalité des instruments à vent, marque de la nomenclature type de l’orchestre d’harmonie à la française :
- groupe des bois de la petite harmonie (petite flûte, flûte, clarinette, hautbois, basson) ;
- groupe des saxophones (soprano, alto, ténor, baryton, basse) ;
- groupe des cuivres clairs (trompette d’harmonie, cornet à pistons, cors d’harmonie, trombone) ;
- groupe des saxhorns (petit bugle, bugle, alto, baryton, basse et contrebasse) ;
- groupe des percussions.
Il est à noter, cependant, que la tradition musicale populaire incarnée au sein des fanfares de type Sax (formations exclusivement composées de toute la famille des saxhorns) perdurera en France, dans les sociétés musicales civiles, jusqu’au milieu du XXe siècle.
Les chasseurs d’Orléans
Issu d’une tradition vivace interne aux armées, le cor a été l’apanage de l’arme des chasseurs, le chasseur à pied étant un fantassin servant au sein de l’infanterie. Les chasseurs sont héritiers des traditions du Ier Empire. Avec l’apparition de la carabine, ces troupes deviennent des unités d’élite regroupées au sein de l’infanterie légère. Le nouveau concept apparaît dès 1833. Enthousiaste, Louis-Philippe, duc d’Orléans, crée un bataillon provisoire à six compagnies (1838). L’unité est définitivement adoptée par l’ordonnance du 28 août 1839. En 1840, il est créé 10 bataillons de Chasseurs à pied. A la mort du Duc d’Orléans, le 13 juillet 1842, les bataillons prennent l’appellation de « Chasseurs d’Orléans » en hommage à leur mentor. En 1853, Napoléon III décide la création de 10 bataillons supplémentaires. À la fin de la guerre de 1870, la France compte 30 bataillons de Chasseurs. Dès 1888, les bataillons se spécialisent dans le combat de montagne et 12 bataillons sont transformés en bataillons de chasseurs alpins. Ils sont dès lors implantés dans tout le massif est-alpin.
Tous les bataillons possèdent alors une fanfare, où le cor (dénommé « trompe ») de chasse tient le rôle central. Depuis, par cette longue tradition militaire, l’instrument est à la fois associé à l’arme des chasseurs, dont il est le symbole, et, par extension, aux montagnards en général.
L’enseignement officiel
Après la réforme de Sax, la pratique du cor naturel s’est maintenue jusqu’à la mise au point définitive du cor chromatique. Le cor naturel a été utilisé à l’Orchestre de l’Opéra de Paris jusqu’aux années 1850, environ. Son enseignement officiel au Conservatoire de Paris se poursuivra encore quelques années après 1903, date à laquelle le professeur François Brémond obtient de l’administration l’autorisation de n’enseigner que le cor à pistons. Toutefois, F. Brémond, entre autres artistes, continuera à promouvoir – en dehors du Conservatoire – l’usage et les techniques du cor naturel, contribuant ainsi à en maintenir la pratique.
Naissance d’un genre
Dès sa création officielle en 1934, l’armée de l’air se dote de formations musicales. La musique principale de l’armée de l’air reçoit l’appellation de Musique de l’air. Le recrutement de cette phalange musicale s’apparente à celui de la prestigieuse Musique de la Garde républicaine. Ainsi, les instrumentistes sont recrutés sur concours parmi les lauréats des conservatoires nationaux. L’exigence artistique des concours de recrutements ne cessera d’évoluer au fil des années.
Dès sa création, la Musique de l’air s’articule en deux formations distinctes : un orchestre d’harmonie et une batterie d’ordonnance, composée de tambours et clairons, instruments de l’infanterie (ces instrumentistes sont également dotés d’un fifre).
Lors des cérémonies militaires, ces deux ensembles fusionnent pour former un orchestre de type « musique militaire ».
D’autres instruments viennent compléter la batterie :
- la trompette d’ordonnance mi bémol ou trompette de cavalerie, instrument traditionnel des armes de la cavalerie ;
- le cor de chasse, instrument traditionnel des formations d’infanterie de type chasseurs (chasseurs alpins et chasseurs mécanisés).
Lorsque la formation donne des concerts, elle se présente soit en configuration orchestre d’harmonie, soit en formation batterie (dans ce cas de figure, elle est dirigée par le tambour-major).
Le répertoire de la batterie est alors exclusivement composé de marches traditionnelles ou de petites fantaisies instrumentées pour divers petits ensembles :
- fanfare si bémol (clairons et tambours) ;
- fanfare mi bémol (trompettes, cors, trompettes-basses et tambours) ;
- fanfare « mixte » (réunion de la fanfare sib & mib).
Les concours de recrutement destinés à pourvoir les postes vacants de la batterie deviennent également de plus en plus sélectifs.
À son arrivée au poste de chef adjoint de la Musique de l’air de Paris, le sous-lieutenant Jacques Devogel est surpris de constater que la batterie, forte d’une quarantaine d’instrumentistes , ne compte pas moins de 27 prix de conservatoires (à noter, pour l’anecdote, deux instrumentistes alors en poste au pupitre des clairons : M. Robert Bouché, futur 1er Prix de trompette du concours international de Genève, et trompette -solo de l’orchestre de l’Opéra de Paris, ainsi que M. René Caron, futur trompette- solo des orchestres de la Garde républicaine).
Au début des années 60, par le biais de ses compositions, Jacques Devogel, décide de doter la batterie d’un répertoire nouveau, et résolument moderne, afin d’exploiter au mieux les possibilités artistiques des instrumentistes de cette formation. Ce nouveau genre se concrétise sous l’appellation « batterie-fanfare » : il s’agit tout simplement d’un orchestre de cuivres naturels, composés des instruments en usage dans l’armée française :
Registre aigu :
- trompette d’ordonnance mib ;
- clairon d’ordonnance sib ;
Registre médium :
- cor de chasse mib ;
Registre grave :
- trompette-basse mib ;
- clairon-basse sib ;
Percussions :
- tambour d’ordonnance ou caisse claire ;
- grosse caisse ;
- cymbales ;
- petits accessoires.
En complément, Jacques Devogel ajoute à sa palette sonore d’autres instruments :
- le saxhorn contrebasse sib (seul instrument chromatique, véritable soutien harmonique de l’ensemble) ;
- des instruments du groupe des percussions.
Au fil des années, le groupe des percussions s’est étoffé considérablement, à l’identique de celui de l’orchestre d’harmonie (batterie, claviers, accessoires etc.).
Jacques Devogel était détenteur d’un prix de clarinette du Conservatoire de Roubaix (classe de Périer), et de plusieurs récompenses obtenues en classe d’écriture au Conservatoire de Paris, auprès des maîtres Pech, et Gallon (Jean et Noël). Jacques Devogel fut un compositeur fécond aussi bien pour l’orchestre d’harmonie que pour la batterie-fanfare. Passionné par la musique récréative, son style s’inscrit naturellement dans la musique légère. En France, entre les années 1950 et 1980, le style « musique légère symphonique » suscita l’intérêt de nombreux compositeurs, dont plusieurs Prix de Rome, :
- Jacques Castérède ; Serge Lancen ; Pierre Gabaye, Georges Delerue ; Pierre-Max Dubois ; Gérard Calvi etc.
À cette époque, l’orchestre de musique légère symphonique de l’ORTF (future Radio-France) commandait régulièrement des compositions, diffusées presque instantanément sur ses ondes. Parmi les nombreux compositeurs qui ont dirigé cette formation symphonique, citons quelques éminents spécialistes du genre : Wal-Berg, Roger Roger, Guy Luypaerts.
Jacques Devogel s’inscrivait dans cette mouvance artistique. Il n’est donc pas surprenant que l’un de ses compositeurs de prédilection fût le talentueux compositeur américain : Leroy Anderson. Dans ses compositions pour orchestre d’harmonie ou de batterie-fanfare, Jacques Devogel développa un style très personnel , sans aucune concession aux écoles étrangères.
Au début des années 1960, la mode est aux danses populaires « modernes » largement répandues par la radiodiffusion : charleston, cha-cha-cha, jerk, twist, rumba, samba.
Les premières compositions pour l’orchestre de batterie-fanfare furent inspirées par ces rythmes caractéristiques, aussi bien que par les danses de salon anciennes : valse, mazurka, menuet, boléro, tango, paso-doble etc.
À l’instar de « Satin Doll » de Leroy Anderson qui , dans les années cinquante, resta de longs mois au sommet des hit-parades des radios américaines, le style nouveau, et résolument récréatif, initié par la batterie-fanfare de l’air, enflamma les esprits et engrangea de nombreux succès.
Largement diffusée par le microsillon 45T (qui comprenait quatre titres distincts), la batterie-fanfare fit des émules, principalement au sein des sociétés musicales populaires qui s’emparèrent simultanément du genre et de tout le répertoire !
D’une certaine façon, la batterie-fanfare contribua au regain d’intérêt pour la pratique des instruments naturels. Le répertoire moderne démontrait parfaitement que l’on pouvait faire de la musique par le biais d’instruments naturels, malgré une connotation militaire, pas toujours très honorable dans l’esprit du grand public.
Ces instruments n’étaient d’ailleurs pas enseignés au sein des écoles et conservatoires de musique. Pour pallier cette carence, un petit groupe d’instrumentistes de la Batterie-fanfare de la Musique de l’Air sillonna la France pendant plusieurs décennies afin de dispenser une formation pédagogique au profit des sociétés musicales populaires. Cet engagement se concrétisa par la création en 1980 d’une entité entièrement consacrée à la défense et à la promotion de ce genre, sous l’appellation « Confédération Française des Batteries-Fanfares ». Jacques Devogel en fut, tout légitimement, le premier président.
L’essor de ce genre nouveau ne put se faire que grâce à un répertoire de qualité, suffisamment diversifié. Quelques rares compositeurs « atypiques » contribuèrent à cette réussite, et ont fait figure de pionniers :
- Guy Luypaerts (né en 1917-20) : pianiste accompagnateur des stars de la variété française : Charles Trenet, Edith Piaf etc. Chef d’orchestre et compositeur de musique légère.
Pendant près de cinquante ans, il insufflera librement son empreinte de la musique de jazz à travers ses nombreuses compositions destinées à la batterie-fanfare ;
- Roger Fayeulle (1913-1979) : élève de Douane dans la classe de cor du Conservatoire de Calais, il intègre ensuite le Conservatoire de Paris où il étudiera pendant une dizaine d’années (1er Prix de cor en 1933, ; 1er Prix d’harmonie en 1938, élève de Simone Plé, Jean et Noël Gallon, ; 1er accessit en direction d’orchestre, classe de Philippe Gaubert). Il est nommé sous-chef (1938) puis chef (1940) de la Musique de l’Air de Paris. Conjointement à sa carrière militaire, Roger Fayeulle est nommé chef de la Musique de scène de l’Opéra en janvier 1952. (Quatrième chef à ce poste inauguré par Adolphe Sax, il l’occupera jusqu’à son départ à la retraite, en 1978). Roger Fayeulle, par la noblesse de son écriture, apporta à la batterie-fanfare ses véritables lettres de noblesse avec des compositions où prédomine le style classique. Citons deux de ses compositions emblématiques, poèmes symphoniques miniatures : « Les Tatars » et « Mirage » ;
- Jacques Robert, : élève dans la classe de composition de Tony Aubin, au Conservatoire de Paris. Compositeur prolixe à la sûreté d’écriture indéniable, on lui doit plusieurs œuvres majeures, aussi bien classiques que modernes.
De nombreuses pièces à caractère pédagogique (avec ou sans accompagnement de piano) furent également composées au profit de l’instruction des jeunes instrumentistes des formations musicales civiles, qui pour la plupart ont débuté l’apprentissage de la musique, par l’étude d’un instrument naturel.
Le cor naturel et la musique militaire aujourd’hui
En dehors des orchestres de cuivres naturels, et des formations particulières de trompes de chasse, la tradition du cor de chasse s’est perpétuée au sein des musiques militaires du type « chasseurs ». Ce corps d’infanterie de montagne disposait naguère (1950) d’une vingtaine de fanfares dont la particularité est l’emploi du cor de chasse en mi bémol. Lors des défilés, les cors de chasse constituent le premier rang. Les instrumentistes sont toujours placés sur le devant de la formation, car il est de tradition d’exécuter un « lancé de l’instrument » avant chaque intervention du pupitre. Plusieurs particularités ont également cours dans les fanfares de chasseurs, composées d’une trentaine d’instrumentistes :
- le tempo des marches traditionnelles est de 144 pas à la minute ( !) ;
- la fanfare ne dispose pas de bois : les clarinettes sont remplacées par des saxophones ;
- il n’y a pas de tambours, mais une seule tarole (caisse-claire) ;
- les instrumentistes pratiquent le lancer du cor.
Le répertoire en usage au sein des fanfares de chasseurs est exclusivement consacré aux marches militaires traditionnelles de circonstance.
À ce jour, l’armée française ne dispose plus que d’une seule fanfare, celle du 27e Bataillon de Chasseurs Alpins, stationné à Annecy (Haute-Savoie).
Les ensembles de trompes de chasse : « histoire et traditions »
Héritiers de la grande tradition française de la chasse à courre, de nombreuses formations musicales composées exclusivement de trompes de chasse en ré, se consacrent, aujourd’hui comme hier, à la valorisation du répertoire de la vénerie, étroitement lié aux appels du rituel de la chasse. Habituellement composés de 6 à 10 sonneurs, le « débuché », parfois dénommé aussi « rallye-trompes », dispose d’un répertoire historique dont l’âge d’or se situe sous le règne de Louis XV. À l’origine, ce répertoire était exclusivement composé d’appels de la chasse (à une seule voix), réalisés sous la férule du Marquis de Dampierre, dans la première moitié du XVIIIe siècle. Dès la fin du XIXe siècle, il s’étoffe de véritables compositions, s’apparentant soit à des suites d’airs, regroupés sous forme de messe, soit à des soli avec accompagnement d’orgue. Ce répertoire tardif, destiné au concert à l’église, vient en complément du répertoire traditionnel de la chasse, interprété en plein air lors d’animations festives.
Par une longue filiation historique, le répertoire traditionnel des ensembles de trompes s’est perpétué au fil des siècles, le plus souvent par tradition orale, malgré la connaissance d’écrits d’époques (Philidor, Dampierre, etc.) codifiant avec précision les principaux appels.
Cette tradition du débuché, particulièrement vivace en France, est un parfait exemple de l’ethnomusicologie. Ces ensembles sont restés fidèles à l’usage traditionnel de la trompe de chasse en ré, utilisée naguère. Le modèle de la grande trompe à la Dampierre, beaucoup trop volumineux, a été abandonné dès le XIXe siècle pour un instrument de taille conventionnelle.
Particularités de l’instrument : le pavillon bruni, et donc de couleur opaque, contraste avec le reste du corps de l’instrument, et les bords de l’embouchure sont très fins, presque coupants. Les sonneurs se produisent généralement sous les couleurs de l’uniforme qui est sensiblement le même que celui des équipages d’autrefois (mis à part la bombe d’équitation qui est venue compléter la tenue vestimentaire).
La technique de la trompe de chasse diffère radicalement de celle du cor naturel, notamment par l’utilisation généralisée du « tayauté » : emploi d’articulations composées d’onomatopées permettant un jeu louré à l’extrême. (On notera une similitude des articulations avec celles employées dans les méthodes anciennes de trompette naturelle).
Dans l’esprit du grand public, « trompe » et « cor » ne font bien souvent qu’un seul et même instrument, étroitement lié à la chasse … renforçant, si besoin était, cette association d’idées !
Conclusion
Le corniste du XXIe siècle est l’héritier d’un long passé, dont le lointain ancêtre ne semblait jouir exclusivement que du plaisir de la chasse. Au sein de la famille des cuivres, le cor est l’instrument dont les évolutions liées tant au progrès de la facture instrumentale qu’à la technique propre à son jeu ont été les plus nombreuses : corne animale, cor simple, cor à tons de rechange, cor « d’invention », cor omnitonique, cor à pistons … jeu simple « naturel », jeu à sons bouchés, jeu moderne …
L’adjonction des pistons à l’instrument dans le courant du XIXe siècle n’a pas eu pour conséquence de détrôner radicalement l’instrument naturel, bien au contraire … !
Dans les années 1970-1980, le regain d’intérêt consacré à la musique baroque a favorisé le retour de son enseignement officiel au Conservatoire (et dans de nombreux centres musicaux européens). Dès lors, certains facteurs d’instruments ont renoué avec la fabrication de cors naturels, destinés tant à des musiciens professionnels issus d’horizons différents, qu’à des instrumentistes amateurs. Chacun à sa manière perpétuent, une tradition musicale bien ancrée, en témoignant d’un intérêt profond pour l’instrument naturel au timbre si particulier, à sa sonorité inimitable, dans sa couleur ancienne.
Annexe: Alfred de VIGNY (1797-1863) : Le cor, écrit à Pau, en 1825.
1
J'aime le son du Cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.
Que de fois, seul, dans l'ombre à minuit demeuré,
J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleuré !
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des Paladins antiques.
O montagnes d'azur ! ô pays adoré !
Rocs de la Frazona, cirque du Marboré,
Cascades qui tombez des neiges entraînées,
Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées ;
Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons,
Dont le front est de glace et le pied de gazons !
C'est là qu'il faut s'asseoir, c'est là qu'il faut entendre
Les airs lointains d'un Cor mélancolique et tendre.
Souvent un voyageur, lorsque l'air est sans bruit,
De cette voix d'airain fait retentir la nuit ;
A ses chants cadencés autour de lui se mêle
L'harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle.
Une biche attentive, au lieu de se cacher,
Se suspend immobile au sommet du rocher,
Et la cascade unit, dans une chute immense,
Son éternelle plainte au chant de la romance.
Ames des Chevaliers, revenez-vous encor?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ?
Roncevaux ! Roncevaux ! Dans ta sombre vallée
L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolée !
2
Tous les preux étaient morts, mais aucun n'avait fui.
Il reste seul debout, Olivier près de lui,
L'Afrique sur les monts l'entoure et tremble encore.
"Roland, tu vas mourir, rends-toi, criait le More ;
"Tous tes Pairs sont couchés dans les eaux des torrents."
Il rugit comme un tigre, et dit : "Si je me rends,
"Africain, ce sera lorsque les Pyrénées
"Sur l'onde avec leurs corps rouleront entraînées."
"Rends-toi donc, répond-il, ou meurs, car les voilà."
Et du plus haut des monts un grand rocher roula.
Il bondit, il roula jusqu'au fond de l'abîme,
Et de ses pins, dans l'onde, il vint briser la cime.
"Merci, cria Roland, tu m'as fait un chemin."
Et jusqu'au pied des monts le roulant d'une main,
Sur le roc affermi comme un géant s'élance,
Et, prête à fuir, l'armée à ce seul pas balance.
3
Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux
Descendaient la montagne et se parlaient entre eux.
A l'horizon déjà, par leurs eaux signalées,
De Luz et d'Argelès se montraient les vallées.
L'armée applaudissait. Le luth du troubadour
S'accordait pour chanter les saules de l'Adour ;
Le vin français coulait dans la coupe étrangère ;
Le soldat, en riant, parlait à la bergère.
Roland gardait les monts ; tous passaient sans effroi.
Assis nonchalamment sur un noir palefroi
Qui marchait revêtu de housses violettes,
Turpin disait, tenant les saintes amulettes :
"Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu ;
"Suspendez votre marche; il ne faut tenter Dieu.
"Par monsieur saint Denis, certes ce sont des âmes
"Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.
"Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor."
Ici l'on entendit le son lointain du Cor.
L'Empereur étonné, se jetant en arrière,
Suspend du destrier la marche aventurière.
"Entendez-vous ! dit-il. - Oui, ce sont des pasteurs
"Rappelant les troupeaux épars sur les hauteurs,
"Répondit l'archevêque, ou la voix étouffée
"Du nain vert Obéron qui parle avec sa Fée."
Et l'Empereur poursuit ; mais son front soucieux
Est plus sombre et plus noir que l'orage des cieux.
Il craint la trahison, et, tandis qu'il y songe,
Le Cor éclate et meurt, renaît et se prolonge.
"Malheur ! c'est mon neveu ! malheur! car si Roland
"Appelle à son secours, ce doit être en mourant.
"Arrière, chevaliers, repassons la montagne !
"Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l'Espagne !
4
Sur le plus haut des monts s'arrêtent les chevaux ;
L'écume les blanchit ; sous leurs pieds, Roncevaux
Des feux mourants du jour à peine se colore.
A l'horizon lointain fuit l'étendard du More.
"Turpin, n'as-tu rien vu dans le fond du torrent ?
"J'y vois deux chevaliers : l'un mort, l'autre expirant
"Tous deux sont écrasés sous une roche noire ;
"Le plus fort, dans sa main, élève un Cor d'ivoire,
"Son âme en s'exhalant nous appela deux fois."
Dieu ! Que le son du Cor est triste au fond des bois !
Bibliographie succincte :
Georges Kastner : Parémiologie musicale de la langue française, Paris [1866]
Le Trésor de Vènerie, composé l’an 1394 par Hardouin, Seigneur de Fontaines-Guérin et publié pour la première fois par M. H. Michelant, Paris 1855
Georges Kastner : Manuel général de musique militaire à l’usage des armées françaises, Paris 1848
Désiré Dondeyne/Frédéric Robert : Nouveau traité d’orchestration à l’usage des harmonies, fanfares et musiques militaires pour faire suite au traité d’instrumentation et d’orchestration de G. Parès, Paris 1969
Kurt Janetzky/Bernhard Brüchle : Le Cor, Lausanne 1977
Jeffrey Snedeker : Hand or valve (or both) : horn teaching, technique, and technology at the Paris Conservatoire, ca. 1840-1903, in : Paris, un laboratoire d'idées : Facture et répertoire des cuivres entre 1840 et 1930 : Actes du colloque des 29, 30 et 1er juillet 2007, organisé par le Musée de la musique et l'Historic Brass Society / sous la direction scientifique de Thierry Maniguet et Jeffrey Nussbaum, Paris 2007, p. 207-218.